Histoires de Jeep : à la recherche du père du Grand Cherokee ZJ - Univers Jeep

Histoires de Jeep : à la recherche du père du Grand Cherokee ZJ

Bien avant l’ère du numérique, les designers travaillaient encore avec la planche à dessin. Et c’est ce qui expliqua l’imbroglio autour de la paternité du Grand Cherokee ZJ.

Quand il fallut retrouver le père du Grand Cherokee ZJ

La reconnaissance des designers dépendait entièrement du service de communication des constructeurs. Ceux mis en avant recevaient les honneurs, tandis que les autres restaient dans l’ombre. Les stylistes et ingénieurs méconnus voyaient souvent leur travail ignoré, sans aucune reconnaissance publique. Et même une réputation solide ne garantissait pas d’être mentionné dans l’histoire. C’est exactement ce qui arriva à Larry Shinoda, exemple de l’injustice de l’automobile des années 80. Styliste du Grand Cherokee ZJ, il dut se battre en justice pour être payé et reconnu.

Malgré ses réalisations, il fut victime d’une négligence corporative qui l’a privé de la reconnaissance qu’il méritait. Pourtant, son travail sur le premier Jeep Grand Cherokee était essentiel. Après un long procès, la justice a reconnu que sa contribution avait été volée. Son nom fut ainsi effacé du lancement de ce SUV emblématique. Les passionnés d’automobile connaissent sûrement Larry Shinoda. Mais ses réalisations impressionnent même les amateurs les plus occasionnels.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, il fut interné en tant que Japonais-Américain. Malgré cela, il transforma sa passion pour les hot-rods en une brillante carrière. Il débuta chez General Motors, où il participa à des designs légendaires comme ceux des Chevrolet Impala et Corvair. Il travailla aussi sur les concepts XP-819 et Mako Shark. Ces projets influencèrent directement la Chevrolet Corvette Sting Ray. Puis, il rejoignit Ford et contribua à l’image du Mustang Boss 302. Il travailla également sur le Torino King Cobra. Ensuite, il décida de fonder son propre studio de design automobile.

Le pot de terre contre le pot de fer

C’est ainsi qu’il croisa le chemin d’American Motors Corporation au début des années 80. À cette époque, AMC, propriétaire de Jeep, cherchait un successeur pour son Cherokee. Ce SUV d’entrée de gamme, au design carré, gagnait en popularité et devenait peu à peu une véritable icône. La décision fut prise d’engager trois entreprises pour concevoir un concept de SUV plus grand. Le gagnant obtiendrait le contrat de design. Mais il y avait un piège : le département design d’AMC participait aussi. Cela joua un rôle clé dans le complot contre Shinoda. Les dirigeants d’AMC avaient accès au studio privé utilisé par Shinoda. Un jour, ils décidèrent d’évaluer son travail en son absence.

À la fin de la semaine, ils l’appelèrent pour l’éliminer du concours. Ils critiquèrent son design et lui ordonnèrent de détruire ses maquettes. Les choses prirent alors une tournure étrange. En revenant à son studio, Shinoda y trouva des employés d’AMC en plein cambriolage. Ils emportaient tous ses dessins et moules en argile. Pourtant, AMC prétendait ne pas être intéressé par son travail. Peu après, plusieurs employés d’American Motors lui confirmèrent que son design était toujours utilisé pour le futur SUV. Cela signifiait-il qu’AMC respectait son contrat, qui prévoyait un paiement initial puis un autre en cas de production ?

Pas du tout. En réalité, AMC s’appropria le design de Shinoda, refusa de le payer et déclara ce SUV comme sa propre création. Techniquement, Shinoda était sous contrat avec AMC durant toute cette période. Une clause de confidentialité l’obligea à garder le silence cinq ans. Au même moment, AMC était en pleine crise. Son partenariat avec Renault ne suffisait pas à enrayer ses lourdes pertes financières.

Le temps joua contre Shinoda…

En 1987, Chrysler racheta AMC et la réorganisa sous la bannière Jeep-Eagle. Cette acquisition visait principalement la marque Jeep. Sans que Shinoda le sache, Jeep comptait utiliser massivement son design pour assurer son renouveau sous l’ère Chrysler. Le Jeep Grand Cherokee fut officiellement lancé en 1992 et connut un succès immédiat pour l’entreprise. Cette réussite incita Shinoda à réagir.

Libéré de son contrat avec AMC, il contacta Chrysler pour réclamer le solde de son contrat de 354 000 dollars. Il n’avait reçu que 135 000 dollars, près de dix ans auparavant. De plus, il exigea une part des bénéfices du Grand Cherokee. Son argument était clair : il en était le véritable concepteur. Mais Chrysler adopta une stratégie bien connue face à ce genre d’affaire.

L’entreprise fit traîner le dossier. Il fallut cinq ans pour parvenir à un règlement hors tribunal, sans montant dévoilé. Malheureusement, Shinoda ne put profiter de sa victoire. Il mourut d’une crise cardiaque peu après la conclusion du litige. Celui qui contrôle l’information contrôle le monde, ou du moins l’industrie automobile des années 1980 et 1990. Avant Internet, ces histoires restaient cachées, accessibles seulement aux initiés du milieu. Mais la vérité finit par émerger.